MONNAIE

Quand Figeac battait monnaie…

Demandez à n’importe qui, à Figeac, de vous indiquer l’Hôtel de la Monnaie – en langue d’oc : l’Oustal de la mouneda –, et vous aboutirez inévitablement, en quelques mi­nutes, sur la place Vival à une bien curieuse construction de l’époque médiévale, au « soleilho » disproportionné, qui se veut, de nos jours, Office régional de tourisme.

Néanmoins, sachez-le, si on a un jour battu monnaie à Figeac, ce ne fut pas en cet hôtel dit de la monnaie… Depuis un siècle, la tradition populaire locale attribue à cet « hôtel » qui fut en son temps, à n’en point douter, une riche demeure bourgeoise, avec ses arcades et ses fenêtres géminées ou ternées, la magie de l’or et de l’argent. Le mérite en revient, sans doute, à un ancien maître d’école qui fut aussi membre du conseil municipal, Louis Cavalié. Celui-ci ayant noté que l’édifice ne figurait pas sur les vieux rôles fiscaux en avait conclu, lors de sa restauration au début du XXe siècle, qu’il ne pouvait s’agir que d’un bâtiment « public » ; et comme à Fi­geac, on avait au Moyen-Âge fabriqué de la monnaie, ce ne pouvait être, selon lui, qu’en ce lieu.
C.Q.F.D.

On pense généralement aujourd’hui que l’hôtel de la Mon­­naie n’a jamais abrité le moindre atelier de fabrication local. On ne peut pas, cependant, même en notre temps moderne, indiquer avec certitude d’autre lieu local.  Une chose est sûre, quoi qu’il en soit : on a battu monnaie à Figeac aux XIV et XVe siècles.

Le savcre de Philippe V (1317).

Une charte royale

Dans la charte qu’il accorda en 1318 aux Figeacois, Phi­lippe V dit le Long stipulait clairement que « les Consuls en corps… surveilleront et s’assureront la fabrication de la monnaie et s’assureront que l’argent soit fin et éprouvé avant d’imprimer sur les pièces le sceau du consulat,
« S’il [l’argent] est de bon aloi, ajoutait-il, ils le marqueront et s’il ne l’est pas ils le feront affiner. »

Dès 1348, Figeac fut citée comme fabriquant des écus d’or, des gros tournois à la queue, des poilevilains et des double-tournois. En avril 1350, Philippe VI de Valois, guerroyant contre les anglais, prescrivit à deux de ses lieutenant d’« aller recueillir l’argent pour la garde et la défense du pays » et de « prendre tout celui qu’ils trouveront dans les hôtels des monnaies de Toulouse, Montpellier et Figeac où l’on fabrique les espèces au coin du roi ». Pendant son occupation par les armées anglaises, suite au traité de Brétigny (1360) Figeac n’en continua pas moins à fabriquer des monnaies ; tout comme elle en refrappa, pour le pouvoir royal, sous le règne de Charles V le Sage, après le re­tour du Quercy dans le royaume de France.

Edouard, dit le Prince noir.

L’activité des monnayeurs figeacois se poursuivit au XVe siècle, avec le roi Charles VII dit le Victorieux qui prescrivit d’apporter sur le métal comme différent – ou marque distinctive – un « f » cursif destiné à différencier la monnaie de Figeac et celle de Fontenay-le-Comte.

Mais en 1444, Charles VII – le roi de Jeanne d’Arc – réduisit lui-même le nombre des villes possédant le privilège de battre monnaie. À Figeac, victime de la décision royale, disparut alors toute trace de la pres­tigieuse corporation des monnayeurs qui disposait jusque là de multiples privilègeso: dépendant du Serment de France, ceux-ci étaient en effet «oexempts de tailles, de taillons, de subsides, de crues, d’ai­des, de corvées et de toutes levées de deniers tant ordinaires qu’extraordinaires ». Un siècle durant, donc, il s’est fabriqué à Figeac des écus d’or, des gros tournois et autres pièces d’argent ; ceci est un fait assuré, connu des experts et collectionneurs de monnaies.

Reste, aujourd’hui, un hôtel de la monnaie au passé incertain, ainsi, il y a lieu de le rappeler, qu’une étroite ruelle, toujours dénommée rue de la monnaie, débouchant sur la rue Seguier, où se remarque une bien curieuse porte, sans doute la plus vieille de la ville, que surmontent d’étranges armoiries où figurent le soleil (symbole de l’or) et la lune (symbole de l’argent). 

Ici, peut-être, se trouvait jadis installée la fabrique de monnaies que l’on a voulu, mais en vain, trouver ailleurs.

Les pièces de monnaie fabriquées à Figeac à l’ère médiévale sont extrêmement rares de nos jours ; et difficilement identifiables – une affaire d’experts. C’est pourquoi il nous a été agréable d’en découvrir deux dans la collection privée d’un numismate aveyronnais.

Pour notre plaisir, et en raison du caractère documentaire qu’elles présentent, nous les reproduisons ici, en complément et en illustration de notre Chronique.

Un Hardi d’argent (1368) du Prince noir

Cette pièce, d’un diamètre de 19 mm et d’un poids de 1,06 gramme, a été frappée dans l’argent. Elle présente en son avers Edouard, fils du roi d’Angleterre, sous un dais orné de d’eux roses. Le « Prince Noir », puisqu’il s’agit de lui, tient une épée de la main droite et lève la main gauche dans un geste de majesté. Au revers de la pièce figure une croix aux deux lis (français) et aux deux léopards (saxons), alliant les couronnes de France et d’Angleterre dont les Plantagenêt se déclaraient titulaires.

Edouard (1330-1376) était le fils aîné d’Edouard III Plantagenêt et de Philippa de Hainaut. Après avoir fait ses premières armes à la bataille de Crécy (1346), il fit campagne en Aquitaine et en Poitou, faisant prisonnier le roi Jean II le Bon à Poitiers (1356) – don la rançon comprit, après quatre années de détention, la cession à l’Angleterre de plusieurs régions dont le Rouergue et le Quercy. D’où, par voie de conséquence, la frappe de pièces de monnaie à l’effigie du Prince dans la fabrique royale de Figeac.

Un Gros du Dauphin dit « florette » (1421)

La pièce a un diamètre de 24 mm et un poids de 1,43 gramme ; elle est d’argent. A son avers figurent trois lis placés sous une couronne royale. A son revers se trouve une croix fleurdelisée cantonnée aux 2 et 3 d’une couronne, entourée d’une devise latine signifiant : Béni sois le nom du Seigneur. Elle a été frappée sur un flan irrégulier et présente des éclatements. Il s’agit d’un Gros du Dauphin encore appelé « Florette » dont la fabrication remonte à l’année 1421, ce type de pièce ayant été mis en frappe de 1418 à 1422.

Le dauphin auquel il s’est agi de rendre ainsi hommage n’était autre que Charles (1403-1461), cinquième fils de Charles VI et d’Isabeau de Bavière, appelé à régner suite à la mort de ses frères aînés sous le nom de Charles VII – le petit Roi de Bourges, auquel une certaine Jeanne, venue de Lorraine, permit de reconstituer un royaume de France.

Il est à noter que les deux pièces décrites ici présentent le « f » caractéristique de la fabrique royale de Figeac ; et ont été reconnues authentiques.

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