Ça c’est passé à Figeac

Extrait de l’ouvrage « Les Chroniques du Quercy » de Guy Chassagnard :
LE CINQUIÈME JOUR de novembre 1726, vers quatre heures de l’après-midi, fut trouvé dans le lit du Célé François Germain, natif de Villeneuve en Rouergue, servant en qualité de volontaire dans le régiment de cavalerie de Montrevel.
Relevé blessé à la poitrine, son épée hors du fourreau, le malheureux jeune homme fut transporté sur une charrette jusqu’à la maison de François du Cayron, seigneur de Mandens, son oncle, où il mourut bientôt, après s’être écrié :
« – Je suis mort ! Ah ! Le ventre !… »
Il appartint, dès lors, à Pierre de Palhasse, écuyer, conseiller du roi, lieutenant particulier, assesseur civil et criminel en la sénéchaussée de Figeac, de mener l’enquête, de toute évidence criminelle. Celui-ci fit venir auprès du mort un médecin et un chirurgien, l’un pour constater le décès, l’autre pour procéder à une autopsie.
Le sieur Pierre Lacaze, docteur en médecine de son état civil, certifia que le sieur François Germain était bien décédé et que son corps présentait une étroite et profonde blessure à la poitrine.
Ayant procédé à l’autopsie du cadavre, le sieur Antoine Beaulaguet, maître-chirurgien, constata, quant à lui, qu’une pointe (sans doute un carrelet), avait perforé le poumon, entraînant une hémorragie interne mortelle.
L’audition des témoins.
Débutant immédiatement son enquête, Pierre de Palhasse entreprit de faire l’audition de toutes les personnes pouvant apporter des précisions sur les conditions de la mort du sieur François Germain, honorablement connu en ville. Il s’en présenta plusieurs.
• Antoine Alric, dit La Bouteille, 20 ans, cordonnier, après avoir fait serment sur les Saints-Évangiles de dire la vérité, raconta que cheminant près de la rivière, il avait aperçu le sieur chevalier Antoine Viguier d’Auglanat, fils cadet du lieutenant principal en l’élection de Figeac, et un autre homme qui se tenaient l’un l’autre et tournaient comme si en badinant l’un avait voulu ôter quelque chose à l’autre.
Le déposant précisa encore qu’il avait vu des épées entre les corps des deux hommes. Il lui avait semblé que le chevalier d’Auglanat voulait ôter la sienne des mains de l’autre qui la lui tenait. Repassant plus tard au même endroit, le témoin avait aidé Antoine Debons à sortir un homme (celui qu’il avait précédemment aperçu) de la rivière, lequel avait dit en soupirant : « –Je suis mort ! ».
• Antoine Debons, dit Réganiac, 45 ans, qui travaillait à « tirer du sable» dans le lit du Célé au moment du drame, déclara qu’il avait vu un homme marcher comme s’il était ivre avant de tomber dans la rivière. L’homme avait fait quelques pas puis s’était écroulé sur le dos.
• Louise Lalardie, 20 ans, femme du meunier François Lacalm, déclara qu’elle avait vu passer le sieur d’Auglanat et un neveu du sieur du Cayron, qui marchaient pas à pas et allaient fort vite vers le pont du Gua. Le chevalier avait un bras sous celui de l’autre, ou au-dessus, et faisait des mouvements et des gestes avec l’autre bras comme font bien des gens en causant. Le témoin ajouta qu’il avait, plus tard, rencontré le sieur d’Auglanat qui fuyait.
• Catherine Daynac, 45 ans, épouse de Pierre Laprune, travailleur, déclara que montant vers le pont du Gua elle avait rencontré deux hommes à elle inconnus qui marchaient ensemble fort doucement, chacun une épée au côté. L’un d’eux avait pris du tabac sur la main de l’autre, ainsi qu’il avait semblé à la déposante, avant de se séparer.
S’étant éloigné, le témoin avait vu ensuite l’un des deux hommes, seul sur le chemin, faire quelques pas en chancelant avant de tomber à terre. Celui-ci s’était relevé, avait encore chancelé sur le bord de la rivière, dans laquelle il était finalement tombé.
• Guillaume Belnezé, 53 ans, procureur ès Cour Royale, déclara que se promenant il avait rencontré le chevalier d’Auglanat et le défunt Germain ayant chacun son épée au côté et marchant ensemble dans le chemin comme s’ils avaient promené, et ne paraissant point du tout émus ni avoir aucune dispute.
• François Cantaloube, 52 ans, voiturier, déclara qu’il avait vu La Bouteille et Reganiac soutenant un homme habillé d’un justaucorps couleur de café et d’une veste rouge, qui avait grand peine à marcher, qu’il avait pris pour un homme ivre.
• Bertrand Agrech, 20 ans, remplissant un office de valet précisa qu’il avait vu deux hommes qu’il ne connaissait pas, qui avaient chacun une épée nue à la main, et qui se donnaient quelques mouvements ; qu’un instant après, un de ces deux hommes ramassa son chapeau qui était à terre, le remit sur sa tête et fit quinze pas vers le pont du Gua ; qu’après cela, il rebroussa et s’en fut vers l’autre homme qui ne marchait pas ; enfin que tous deux partirent de là et marchèrent ensemble, à côté l’un de l’autre assez doucement. Le déposant ne savait rien de plus…
Déposèrent encore Pierre Combes, travailleur ; Jean Gibrat, valet ; Anne Barbier, épouse de Jean Bau dit Clapou ; et surtout Marie Aymar, veuve de Jean Ganer, qui ayant croisé le sieur d’Auglanat, son épée sous le bras, lui avait dit « — Vous marchez bien vite ! ». « — Oui, un peu… » avait répondu le jeune homme.
La sentence.
L’audition des témoins du drame étant terminée, Pierre de Palhasse ne pouvait que conclure au « meurtre ». Noble Gilles de Palhasse, conseiller et avocat du roi, agissant en qualité de procureur du roi, ordonna donc, dès le 8 novembre, l’arrestation de Noble Antoine de Viguier d’Auglanat pour être conduit sous bonne et sûre garde dans les prisons de Figeac, ceci dans l’attente d’être ouï et interrogé sur les faits.
Il n’y eut, toutefois, point d’arrestation. Mais dans son jugement, rendu par contumace le 8 février 1827, la Chambre du Conseil de Figeac condamna Noble Antoine de Viguier d’Auglanat, auteur du meurtre, à avoir la tête tranchée par l’exécuteur de la Haute Justice, sur un échafaud qui sera dressé en la place haute de la ville, ce qui sera exécuté par effigie.
L’exécution eut bien lieu comme prévu ; ce fut un mannequin qui eut la tête tranchée… Quant au sieur d’Auglanat, en fuite, il semble avoir coulé des jours heureux. On le retrouve en effet, en 1741, lieutenant d’infanterieo; en 1752, chevalier de Saint-Louis ; en 1765, enfin comme témoin au mariage d’une nièce.
A la question : « — Pourquoi ce duel ? » les magistrats figeacois n’avaient pu apporter de réponse. Il n’a jamais été possible, depuis le procès, d’en trouver une. On subodore donc une sombre affaire de famille et de paternité hors mariage impliquant une sœur du coupable…
